Droit à l’image

 

Synthèse sur le droit à l’image

rédigée à partir du 1er novembre 2007
par Michel Balmont, entre autres
à partir d’un dossier établi par la regrettée Nelly Rouault
qui enseignait le droit à l’Université de Saint-Étienne ;
revue et corrigée par cette dernière
.

 

Contrairement à ce qui est communément admis par le public, il n’existe pas dans le droit français de texte juridique qui règle à lui seul, directement et explicitement, la question du droit à l’image : ce dernier, dans la mesure où il existe, est défini de manière complexe et mouvante par quelques articles de loi et beaucoup de jurisprudences. Les paragraphes qui suivent ont pour objet de clarifier ce domaine. Ce n’est guère aisé, et l’établissement de la vérité ne peut se faire ici que par l’acceptation de la complexité.

Signalons pour commencer que le droit à l’image concerne, de facto, la diffusion d’image et non la prise de vue. Toutefois ceci ne résulte pas d’un principe de droit, mais de la difficulté de fournir une preuve dans le cas d’une simple prise de vue (voir à ce propos les articles 226-1 et 226-2 du code pénal cités plus bas). Néanmoins, si la preuve est possible, la fixation d’une image est un premier délit, et sa diffusion un second (Cass., 20 octobre 1994).

Rappelons également que « le droit à l’image concerne toutes les techniques (Emmanuel Pierrat, Reproduction interdite ? Le droit à l’image expliqué aux professionnels et à ceux qui souhaitent se protéger , Maxima-Laurent du Mesnil éditeur, novembre 2001) » et tous les médias.

Ce droit, enfin, concerne trois « objets » différents : les biens, les œuvres, les personnes.

Nous n'envisagerons pas ici les sanctions, préférant rester au niveau des principes.

 


 

1. Image des biens

2. Image des œuvres

3. Image des personnes

3.1 Textes de loi
3.1.1 Code civil
3.1.2 Convention européenne des droits de l’Homme
3.1.3 Loi du 30 septembre 1986 relative à la communication audiovisuelle
3.1.4 Code pénal
3.1.5 Loi sur la presse du 29 juillet 1881
3.1.6 Loi « Perben »

3.2 Jurisprudences
3.2.1 Principes et limitations
3.2.2 Accord et publication
3.2.3 Questions de la rediffusion et du droit à l’oubli
3.2.4 La question du droit à l'image des personnes décédées

3.3 A propos des formulaires d’autorisation

Conclusion

 


 

1. Image des biens

On sait que de nombreux propriétaires de biens privés (une île -> Cass. civ. 1ère, 2 mai 2001, 99-10.709 ; une montagne -> affaire du Puy du Pariou en Auvergne ; un bâtiment -> le café Gondrée, première maison libérée en Normandie en 1944 [Cass. civ., 10 mars 1999], une borie provençale ; un animal -> affaire des bichons maltais, ces deux derniers cas sont détaillés plus bas) portent plainte contre l’utilisation et la diffusion, commerciale ou non, de l’image de leurs biens. Ils s’appuient sur l’article 544 du Code civil (« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »). Les médias se régalent de ces plaintes, sans jamais rapporter l’issue du procès. Ce qui entretient une certaine confusion dans l’esprit du public.

Notons bien toutefois que la Cour de cassation a rappelé dans deux rapports annuels que la jurisprudence française ne reconnaît aucun droit du propriétaire sur l’image de son bien (Rapport annuel de la Cour de cassation, Documentation française, 1999, p. 390 et 2000, p. 63). La jurisprudence tendait naguère à établir que si la diffusion de l’image d’un bien n’était pas lucrative et qu’aucun trouble anormal n’en résultait, elle était licite, même sans l’accord du propriétaire. En revanche la propriété d’un bien impliquait un droit exclusif d’exploitation, et, par conséquent, interdisait a priori la diffusion lucrative de son image par un tiers. Ceci ne concernait que les biens clairement identifiables, et figurant sur l’image de manière centrale. Les arrêts des tribunaux reconnaissaient donc seulement un trouble du droit d’exploitation de la propriété (article 544 du Code civil) ; il ne s’agissait donc pas exactement de droit à l’image. Ces principes furent établis à la fin des années 90, et au début de la décennie suivante.

Mais une évolution s’est dessinée depuis dans la jurisprudence. Par un arrêt du 7 mai 2004 concernant la diffusion d’une photo de l’Hôtel de Girancourt, monument historique, par une société immobilière de Rouen, la Cour de cassation a statué que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; qu’il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal. » Or la jurisprudence devient de plus en plus restrictive sur l’appréciation de ce trouble. Celui qui vient le plus directement à l’esprit est l’envahissement du site par les visiteurs avec dommages à l’environnement. Il faut établir à la fois la preuve de ce trouble, et celle du préjudice, mais également le lien de causalité avec la publication de la photo. La notoriété préalable du site implique une certaine normalité du trouble. C’est notamment le cas des bâtiments historiques ou des paysages cités dans des guides ou dont l’image est déjà connue. On peut comprendre qu’une exploitation commerciale qui ne générerait pas de trouble anormal n’ouvrirait donc désormais aucun droit au bénéfice du propriétaire. L’image extérieure d’un bien serait désormais détachable du droit de propriété. L’utilisation d’une image semble libre dès lors qu’elle est prise depuis un lieu accessible à tous, sous la réserve du trouble anormal. Deux affaires ont, depuis, illustré cette évolution.

Les propriétaires d’une borie (abri de berger) située à Saignon (Vaucluse) ont poursuivi un photographe, Camille Moirenc, deux éditeurs de cartes postales et la propriétaire d’un bar-tabac d’Apt, pour avoir respectivement pris en photo, reproduit et vendu leur bien sous forme de carte postale sans avoir sollicité leur autorisation. Ils réclamaient le retrait des cartes ainsi qu’une provision sur dommages et intérêts d’abord chiffrés à plus de 42 000 €, puis ramenée à au moins un euro symbolique. Les propriétaires estimaient être lésés parce que « les photographes et les éditeurs tirent un profit considérable » et se plaignaient d’un « trouble anormal », en l’occurrence l’impossibilité future de commercialiser l’image de leur bien, et la fréquentation intempestive des touristes sur le site. Les juges du Tribunal de Grande Instance d’Avignon, sur la base de l’arrêt du 7 mai 2004, ont rejeté les deux demandes, considérant que le trouble anormal n’était pas caractérisé par l’impossibilité future d’exploiter l’image. Concernant l’afflux de touristes, il a pu être jugé antérieurement que cela constituait un trouble anormal mais, en l’espèce, les juges retiennent que les propriétaires ne prouvent pas de lien de causalité entre l’utilisation de l’image de la borie et l’afflux de touristes. Les propriétaires de la borie se voient condamnés à verser la somme de 1 000 € au photographe et au bar-tabac, au titre des dommages et intérêts (Chambre 1 Section 3, jugement du 12 décembre 2006).

Les animaux sont considérés comme des bien meubles (Michèle Battisti, Des clics et des droits. Le droit appliqué à l'image, ADBS, 2009). Rappelons à ce propos l’affaire dite « des bichons maltais ». Yves Lanceau, photographe animalier, a été appelé à réaliser des photographies de chiens de cette race pour le compte d’un éleveur. Ces images sont d’abord publiées dans un magazine animalier, Atout Chien et sont par la suite mises en agence. Elles ont plus tard servi à la réalisation de cartes postales et d’un fond de pendule. Le photographe est alors poursuivi en justice pour « préjudice moral » par les propriétaires, qui lui réclament 18 300 € de dommages et intérêts. L’affaire va durer plusieurs années, avec un premier passage au Tribunal d’instance de St-Nazaire, mais les éleveurs se désistent la veille de l’audience. En décembre 2005, le Tribunal de grande instance de Blois déboute le couple d’éleveurs et le condamne à verser une indemnité de 2 500 € à Yves Lanceau. Les éleveurs font appel devant la Cour d’appel d’Orléans ; cette dernière confirme le précédent jugement. Le couple d’éleveurs voit toutes ses demandes rejetées et devra verser 1 200 € de dommages et intérêts à Yves Lanceau pour appel abusif (arrêt du 15 février 2007).

Il convient toutefois de faire une différence entre prise de vue depuis l’espace public, et dans un lieu privé. Dans ce dernier cas, il est nécessaire de demander l’autorisation au propriétaire, qui peut refuser sans avoir à justifier son refus (mais ce n’est pas, encore une fois, une question de droit à l’image, mais de propriété).

 

2. Image des œuvres

La reproduction des œuvres est protégée par la Code de la propriété intellectuelle qui stipule qu’une œuvre tombe dans le domaine public soixante-dix ans après la mort de son auteur (articles L 123-1 et L 123-7). Dès lors sa reproduction, ou la diffusion de son image est licite passé ce délai. De son vivant, tout créateur, et on sait bien aujourd’hui que cela inclut les architectes, et tout ayant-droit dans les soixante-dix ans qui suivent le décès, dispose du droit d’autoriser ou, non la reproduction de son œuvre.

Toutefois il convient d’être prudent en ce qui concerne la notion d’auteur. Un exemple, pour lequel nous ne possèdons pas les références, l’ayant découvert dans un reportage télévisé : un éditeur de cartes postales y racontait avoir été condamné pour avoir publié une carte représentant l’Arche de la Défense de nuit. Il avait pourtant contacté l’architecte et obtenu son autorisation. Mais il n’avait pas pensé à demander celle de l’auteur de l’éclairage.

Attention : Chaque pays a son propre droit de proriété intellectuelle. Ainsi le copyright américain s'applique jusqu'à 95 ans après la publication de l'œuvre (rien à voir avec l'auteur). Voir les détails pays par pays ici. Et les adresses des offices de propriété intellectuelle ici. D'une manière générale, tout se trouve sur le portail de l'OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle - WIPO en anglais).

NB : le droit de citation, valable dans le cas des œuvres littéraires/verbales (même s'il est défini de manière vague), ne s’applique pas aux images (tableaux, films, photographies, sculptures, etc.).

En ce qui concerne, la propriété industrielle : si sur les biens photographiés/filmés apparaissent des marques, brevets, dénominations sociales ou d’autres signes distinctifs, ces éléments sont également protégés par le Code de la Propriété Intellectuelle. Il faut donc se prémunir d’une autorisation des titulaires de ces droits pour diffuser l’image.

Les artistes-interprètes disposent, depuis la loi du 3 juillet 1985, d’un droit spécifique, voisin du droit d’auteur. Il s’agit d’un droit sur leur interprétation, et non d’un droit à l’image. Une réutilisation de l’image d’une de leur interprétation, dans un autre contexte ou à des fins commerciales ou promotionnelles, nécessite une autorisation spécifique.

 

3. Image des personnes

3.1 Textes de loi

Aucun texte de loi ne règle expressément le droit à l’image des personnes. Certains articles appartenant à diverses lois permettent de construire une jurisprudence.

 

3.1.1 Code civil

Le texte essentiel est l’article 9 dans sa version du 17 juillet 1970, qui stipule que « chacun a droit au respect de sa vie privée. » La vie privée d’une personne est un ensemble d’informations relatives à l’identité ou à l’intimité de cette personne. Ceci contient nécessairement le droit à l’image : chacun est donc titulaire de son image, et est seul à pouvoir en autoriser l’utilisation. Ce droit est donc un droit lié à la personnalité ; il est absolu, c’est-à-dire qu’il s’exerce sans que la personne ait à justifier de quoi que ce soit, et indisponible, en ce sens que la personne ne peut pas y renoncer définitivement.

L’article 16 « interdit toute atteinte à la dignité de la personne et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »

L’article 1382 engage la responsabilité civile lorsqu’un lien peut être établi entre une faute et un dommage.

 

3.1.2 Convention européenne des droits de l’Homme

L’article 1er stipule que « toute personne a le droit au respect de sa vie privée et familiale. »

 

3.1.3 Loi du 30 septembre 1986 relative à la communication audiovisuelle

Elle précise que « [la] communication au public par voie électronique est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui […]. » (Article 1, modifié par Loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 art. 109 (JORF 10 juillet 2004 en vigueur le 1er août 2004).

 

3.1.4 Code pénal

L’article 226-1 du stipule que « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :

    1. En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
    2. En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.

Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. » L’acte d’enregistrement/prise de vue est donc bel et bien visé, mais une dérogation est déjà prévue.

L’article 226-2 étend ceci à la conservation : « Est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1. […] » On notera le « laisser porter ».

Un cas particulier, celui du montage, est réglé par l’article 226-8 du code pénal : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention. […] » (Ordonnance nº 2000-916 du 19 septembre 2000 art. 3 Journal Officiel du 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002).

L’article 227-24 condamne la diffusion « par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support » d’un message « de nature à proter gravement atteinte à la dignité humaine ». Toutefois cet alinéa, introduit par la loi du 29 juillet 1994, fait partie des lois sur la bioéthique et n’avait pas vocation à réguler la liberté d’expression.

Comme on le voit, le droit au son (interviews, paroles enregistrées, etc.) est identique et coextensif au droit à l’image. Tout ce qui est dit ici de l’image s’applique de la même manière au son. Il en est pourtant généralement moins question, sans doute pour des raisons techniques : faire une image est simple, enregistrer du son plus complexe.

 

3.1.5 Loi sur la presse du 29 juillet 1881

Sur le plan pénal également, l’article 35 quater, modifié par la loi du 15 juin 2000, précise que « la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de la reproduction des circonstances d’un crime ou d’un délit, lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d’une victime et qu’elle est réalisée sans l’accord de cette dernière, est punie de 15 000 € d’amende. » On observera que l’affirmation du nécessaire respect de la dignité est tempérée par l’adverbe « gravement ». D’autres articles de cette loi sanctionnent de même le fait de capter et de diffuser des images qui incitent à commettre un crime ou un délit ; les images de personnes entravées ou menottées, placées en détention provisoire, mises en cause dans le cadre d’une procédure pénale et n’ayant pas encore été condamnée (en cas de plainte de la victime) ; les prises de vue de salles d’audience des tribunaux pendant les débats.

 

3.1.6 Loi « Perben »

La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, dite loi Perben, interdit et réprime le fait de filmer une personne en train de se faire agresser et de diffuser le résultat. Ne sont pas visés par ces sanctions ceux pour qui « l’enregistrement et la diffusion résultent de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public (des journalistes par exemple) ou qui est réalisé afin de servir de preuve en justice. »

 

Tout comme les autre droits de la personnalité, le droit à l’image disparaît a priori avec le décès de la personne.

 

 

3.2 Jurisprudences

3.2.1 Principes et limitations

Dans les années 60, la jurisprudence relative à l’image des personnes était rare. Ce n’est qu’en 1971, à la suite de l’article 9 du Code civil, que la Cour de cassation, suivie par les juges du fond, posa le principe que « toute personne a droit au respect de son image ». Ce droit s’applique quels que soient le support utilisé, les fins poursuivies (commerciales ou non), la nature de la fixation (éphémère ou non), la taille de la reproduction et l’ampleur de la diffusion (tous ces paramètres auront, en revanhce, un poids dans la définition du montant des dommages et intérêts).

Pour que ce principe s’applique, il faut que la personne soit identifiable. L’identification ne concerne pas que le visage, il peut s’agir d’une silhouette, d’un tatouage, d’une cicatrice (voire, dans le cas d’un enregistrement sonore, d’une voix), etc. [C’est ici le lieu de mettre fin à une légende tenace, selon laquelle on n’aurait pas le droit de publier des photographies de personnes, par exemple des élèves, sauf s’il s’agit de photos de groupe (et la légende ajoute en général un nombre pour le groupe, jamais le même.) Ce n’est pas vrai : le droit à l’image s’exerce à partir du moment où l’on est identifiable, peu importe le nombre de personnes qui figurent sur la même image.]

En accord avec les textes de loi, le respect au droit à l’image ne peut s’appliquer que si l’image révèle un élément de sa vie privée. Il est accordé à toute personne, inconnue ou célèbre. Il ne peut être cédé à un tiers.

Le droit à l’image a la même force dans un lieu privé ou public. Même prise dans un lieu public, l’image peut dévoiler un élément de la vie privée. Un lieu public, d’après la Cour de Cassation (Arrêt du 6 avril 1994), est « un lieu accessible à tous sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit êrmannt ou subordonné à certaines conditions d’heures ou de causes déterminées. »

Par ailleurs la dignité des personnes doit être respectée, mais c’est un concept particulièrement flou, que la jurisprudence interprête à volonté dans un sens ou un autre. Lors du meurtre du préfet Érignac, les juges ont estimé que la photographie qui « représentait distinctement le corps et le visage du Préfet assassiné. » (Cass., 20 décembre 2000). Mais, exactement deux mois plus tard, ils ont jugé licite la publication des photos des victimes de l’attentat du métro Saint-Michel, pourtant parfaitement reconnaissables (Cass., 20 février 2001). Slon que vous serez puissant ou misérable...

Cependant ces règles sont assorties d’exceptions, parmi lesquelles :

      1. « le droit à l’information » (Cass. civ. 1ère, 15 juin 1994, pourvoi n° 92-16.471), qui concerne l’actualité judiciaire en particulier. Un commandant de police n’a pas pu s’opposer à la diffusion de la photo de la photo prise lors des constatations d’usage qu’il effectuait après l’attaque d’une banque, cette image ayant été reconnue comme une illustration nécessaire et pertinente de l’article qui en faisait le récit (Cass., 5 juillet 2005). Le lien de l’image à l’actualité suppose que celle-ci ne soit pas publiée hors contexte. Le délai entre l’événement et la publication doit être court ; néanmoins il peut être jugé que certaines images appartiennent à l’histoire (Chambre d’Appel de Versailles, 14 mars 2001 - Cass., 13 novembre 2003). La personne photographiée ou filmée doit être impliquée dans l’événement relaté, et les commentaires ne doivent pas modifier la perception de l’image la représentant.
      2. l’illustration d’un sujet ou d’un débat démocratique général. Ainsi furent jugées licites les photographies d’anonymes dans le métro, qui servirent d’illustrations dans un livre de sociologie (TGI, Paris, 2 juin 2004, Légipresse 2004, I, 99). (Il avait de plus été considéré par les juges que le préjudice était inexistant parce que les portraits des personnes « ne les montraient pas dans une situation dégradante ».) De la même manière, la couverture d’un livre de François-Marie Banier reproduisant le portrait de deux femmes majeures placées sous tutelle a été autorisée : les juges ont statué que l’auteur « cherchait à dresser un portrait du monde actuel […] avec ses souffrances » (Chambre d’Appel de Paris, 9 mai & 25 juin 2007).
      3. les images de personnalités publiques saisies dans l’exercice de leurs fonctions. Plus globalement, le statut de personne publique suppose une réduction de « l’ampleur de la sphère privée ».
      4. Les images de personnes participant à des faits publics importants (manifestations diverses, événements historiques, etc.) constituent une autre dérogation, sauf dans le cas où un recadrage a eu lieu pour isoler la personne (Cour d’Appel de Paris, 11 juillet 1987), ou bien si cette dernière est signalée par un dispositif quelconque, flèche, rond l’entourant, etc. (Cass. civ. 1ère, 12 décembre 2000). Toutefois ce principe n’est pas absolu : la publication d’une photographie d’une personne participant à une manifestation publique a été sanctionnée par le Tribunal de Grande Instance de Paris (4 juillet 1984) parce que celle-ci a révélé l’homosexualité de cet homme à ses proches, et dans la mesure où la photo en question n’entretenait aucun lien avec l’actualité immédiate (voir 1).
      5. La visée artistique de l’image peut constituer également une exception (voir plus bas l’affaire François-Marie Banier).

Tant et si bien qu’aujourd’hui les deux grands principes de droit au respect de son image et de liberté d’expression sont en conflit direct et que lors d’un dépôt de plainte pour non-respect du droit à l’image d’une personne, il est bien difficile de prévoir l’aboutissement de cette dernière, succès ou non, d’autant plus que chaque juridiction peut inverser la décision de la précédente. La frontière entre le licite et l’interdit semble être fixée au coup par coup par les tribunaux, et justifiée par des considérations fluctuantes, comme si une « zone grise » aux limites indéterminables s’étendait entre vie publique et vie privée. Ceci est sans doute, entre autres, une conséquence de l’usage des nouvelles technologies qui, en facilitant la reproduction de l’image, posent au droit de nouveaux problèmes.

 

3.2.2 Accord et publication

Selon les principes, la licéité de la publication ne peut résulter que de l’accord certain, spécial, de l’adulte concerné ou des parents titulaires de l’autorité dans le cas d’un mineur. Néanmoins, à lire la jurisprudence, il n’est pas toujours clair que le consentement de la personne (ou de ses parents pour un mineur, en conséquence de l’article 371 du Code civil) soit nécessaire pour la diffusion de l’image, dès lors qu’elle illustre un débat d’intérêt général ou une question d’actualité, sauf dans les cas où la vie privée est en cause. Ainsi l’image d’un homme endormi sur une table de discothèque utilisée par France 2 dans un sujet sur les dangers de l’alcool au volant fut condamnée, parce qu’elle touchait à la vie privée (Cass. civ. 1ère, 21 février 2006, Légipresse 2006, III). Au contraire la photographie d’un mineur mort dans un accident de la route et couvert de sang sur un brancard fut autorisée, car elle était justifiée par « le libre choix des illustrations d’un débat général de phénomène de société » (Cass. civ. 2ème, 4 novembre 2004, JCPG 2004, 10186).

Le consentement n’est pas nécessaire quand l’image est anodine. Il existe une jurisprudence classique sur ce point : lorsque la photo d’un couple admirant un 4cv parut en 1949 dans un quotidien du soir, les deux personnes firent valoir que leur vie privée avait été violée, dans la mesure où ils n’étaient pas légitimement liés ; la procédure leur fut favorable, car il n’y avait là rien d’anodin.

En revanche, en 2007, un procès opposa François-Marie Banier à Isabelle de Chastenet de Puységur, attachée de presse, qui contestait la publication de son portrait dans le livre Perdre la tête. La photographie la montre assise sur un banc public parisien, tenant son chien en laisse et en train de téléphoner. Surprenant le photographe en train de faire son portrait, elle déclare lui avoir « manifesté son opposition » à la photo et, a fortiori, à voir cette dernière publiée. Après la sortie du livre, qui mélange portraits de gens connus et de marginaux ou d’exclus, elle le poursuit pour atteinte à la vie privée et lui réclame 200 000 euros de dommages et intérêts. Elle reproche notamment à François-Marie Banier de porter préjudice à son travail et atteinte à sa personnalité en la faisant passer pour « une élégante indifférente au sort d’autrui ». Le 9 mai 2007, le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu son verdict dans cette affaire en donnant tort à Isabelle de Chastenet de Puységur, soulignant que la photographie « exempte de toute légende ou commentaire » ne trahit nullement son identité et son intimité, que « le cliché exempt de toute légende ou commentaire ne révèle rien de son intimité » et que « la présence d’un animal de compagnie ou ses goûts vestimentaires étaient des indicateurs anodins ». Le tribunal a précisé qu’aucun élément ne permettait de conclure à un préjudice particulier. La plaignante a fait appel. Une autre plainte à propos du même livre, et qui concernait les individus photographiés (SDF pour beaucoup) a été statuée ainsi le 25 juin de la même année : le Tribunal de Grande Instance de Paris a estimé que « l’atteinte à la dignité n’était pas établie et qu’il convenait de privilégier la liberté artistique sur le droit à l’image des personnes – même particulièrement vulnérables – que le photographe entend précisément défendre. » Les juges ont rappelé que « le photographe ne peut se trouver contraint de solliciter systématiquement le consentement des personnes à ce que leur image puisse être fixée puis publiée car cela aurait pour effet de compromettre les photographies prises sur le vif ou la représentation de scènes de rues. »

Par ailleurs il a été jugé que la simple présence visible d’une caméra peut signifier consentement à la diffusion (CA Paris, 10 septembre 1999, Lepage, CCE 2002, n° 84). L’image doit évidemment avoir été obtenue par des moyens licites : pas de caméra cachée ni de téléobjectif.

Enfin « les conventions et autorisations relatives à l’exercice des droits de la personnalité seraient en général librement révocables par le titulaire » (Rép. civ. Dalloz, v° Personnalité [droits de la], n° 152, p. 14). En clair celui qui a donné l’autorisation de diffuser son image aurait (on notera le conditionnel) le droit de changer d’avis inopinément.

 

3.2.3 Questions de la rediffusion et du droit à l’oubli

En ce qui concerne la nécessité de demande d’autorisation pour la rediffusion dans un autre cadre (passage d’un média à un autre : de film à DVD, d’émission de télévision à photo dans un livre, etc., voire à l’intérieur du même média : d’une émission de télévision à une autre, d’un livre à un autre, etc.), la jurisprudence est encore plus erratique, suffisamment pour qu’il soit impossible d’y trouver des lignes directrices. Manifestement des usages sont en train de s’établir, mais il faudra encore quelque temps avant qu’ils soient stables. Tout au plus peut-on dire qu’il est souvent jugé qu’une autorisation tacite ne vaut que pour une première divulgation (V. par exemple Paris 28 juin 1993, Legipresse 1993. I. 114) et qu’un nouveau contexte appelle un nouveau consentement (V. par exemple Paris 19 octobre 1981, D. 1982. IR. 180).

S’ajoute d’ailleurs à cette difficulté générale celle que fait naître la notion de « droit à l’oubli », que l’on peut définir comme « la prescription des faits qui ne sont plus d’actualité » (C. Costaz, Le Droit à l’oubli, Gaz. Pal. 1995. 2. Doctr. 965. p. 962) et que l’on oppose souvent à la rediffusion. Néanmoins il a été balayé comme règle générale de droit depuis un arrêt de la Cour de cassation (Civ. 1ère, 20 novembre 1990, JCP 1992. II. 21908, obs. Ravanas). « C’est pourquoi le droit à l’oubli a cessé d’être un principe, pour n’être qu’une norme, parmi d’autres, que le juge met dans le plateau de la balance des intérêts en compétition » (Théo Hassler, « Droits de la personnalité : rediffusion et droit à l’oubli », Recueil Dalloz, 2007, n°40, p. 2829).

 

3.2.4 La question du droit à l'image des personnes décédées

Après la Cour de cassation (Cass. civ, 1ère, 22 octobre 2009, Legipresse, mars 2010, p.19; Rtd civ. 2010, p.79), le Conseil d’Etat a décidé que le droit d’agir pour le respect de la vie privée et du droit à l’image s’éteint au décès de la personne qui en est seule titulaire, et que ce droit n’est pas transmis à ses héritiers (CE, 27 avril 2011, n° 314577, « M.F. et autres »). C’est bien la conception même des droits de la personnalité qui les destine ainsi à être des droits exclusivement attachés à la personne qu’ils ont pour objet de protéger (G. Loiseau, « Droits de la personnalité : janvier 2011- décembre 2011 », Legipresse 290, janvier 2012, p.59).

Cependant les deux juridictions suprêmes admettent tout de même que les proches d’une personne ont la faculté de s’opposer à la reproduction de l’image de celle-ci après son décès, ils en éprouvent un préjudice personnel, direct et certain Ceci est d'ailleurs établi dès le premier jugement concernant le droit à l'image, qui concerne, en 1858, les dessins et photographies de l'actrice Rachel sur son lit de mort (14 juin 1858, 1ère Chambre du Tribunal Civil de la Seine). Pour la Cour de cassation, les proches doivent subir un préjudice personnel qui peut être « déduit le cas échéant d’une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort » (Cass. civ. 1ère, 22 oct. 2009, pourvoi n° 08-11112). L’atteinte des proches peut donc être seulement indirecte : causant un préjudice par ricochet, l’atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort peut se répercuter sur les vivants, même s’ils ne sont pas individuellement mis en cause. Dès lors, indirectement, les vivants font figure de « gardiens de la mémoire des morts » (L. Marino, « Droits de la personnalité appliqués à la presse et aux médias », Legipresse n°268, janvier 2010, p.13). [Sauf la phrase sur Rachel, ces deux paragraphes, très synthétiques, sont l'œuvre de Me Alexandre Blondieau, Avocat à la Cour et d'Aurélie Thuegaz, Docteur en droit.]

En bref, « l’existence juridique d’une personne semble alors devoir s’arrêter au moment du décès, à l’exception de quelques cas insusceptibles de remise en cause, comme la dignité de l’être humain. »

 

3.3 A propos des formulaires d’autorisation

Une autorisation n’est pas un blanc-seing. Elle doit mentionner

    • les images qui peuvent être diffusées, avec précision
    • le contexte et les supports sur lesquels elles le seront
    • la durée pendant laquelle elles peuvent l’être

Voici une idée de la forme globale que ce document doit prendre.

AUTORISATION D’UTILISATION D’IMAGES

Je soussigné,

NOM
Prénom
Adresse
Code postal
Ville


autorise la personne désignée ci-après :

NOM
Prénom
Adresse
Code postal
Ville
Profession

à reproduire ou présenter la ou les image(s) faites par lui et me représentant, et dont une copie signée et datée par mes soins figure ci-joint (ou la liste/description précise(s) des images), pour les usages suivants :

……………………………

et pour une durée de…………… à partir de la signature de ce document.

 

DATE & SIGNATURES

Voilà un exemple, très bien commenté :

On en trouvera facilement d’autres sur Internet.

 


 

Conclusion

Nous avons conscience, parvenant à la fin de cette synthèse, que nous avons moins établi la carte d’un lieu que celle d’une ligne de front mouvante, celle d’un conflit en cours et permanent entre d’une part liberté de publier et de communiquer, et d’autre part droits/dignité de l’individu et droit de propriété.

N’oublions pas, de plus, que même avec la certitude de son bon droit et du gain du procès, on n’a pas forcément envie de/intérêt à devenir le héros d’une jurisprudence.

Ce qui précède, enfin, concerne le droit, textes et jurisprudence, et ne saurait remplacer une réflexion éthique. Demander l’autorisation de faire et de diffuser l’image, et se conformer à la réponse de la personne est, de cet autre point de vue, absolument nécessaire.

 

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