Poésie irlandaise

 

 
Espoir
 
Le temps a triomphé, le vent tout éparpillé,
Alexandre, César, les empires, les cités ont disparu,
Tara et Troie ont fleuri un instant et sont tombées,
Et même l’Angleterre, peut-être mordra-t-elle la poussière.
 
anonyme gaélique du XIXe siècle, d’après la traduction de Brendan Kennelly
 
 
 
Certitude
 
C’est l’endroit, m’a-t-on dit.
Regardez comme l’herbe haute est courbée.
Ils se sont allongés ici et ont fait l’amour,
Maintenant j’en suis certain.
 
Remarquez la campanule froissée,
La fougère écrasée et morte
Et regardez ceci comme un signe –
Voici un cheveu tombé de sa tête.
 
John B. Keane, 1928-2002
 
 
 
Ode
 
Nous sommes les faiseurs de musique
Et nous sommes les rêveurs de rêve,
Errant sur les coureurs de mer,
Et assis à côté de ruisseaux désolés ;
Nous qui perdons et abandonnons
Le monde sur qui brille la pâle lune ;
Pourtant nous faisons bouger le monde,
Nous le secouons pour toujours, semble-t-il.
 
Avec de merveilleuses chansonnettes immortelles
Nous bâtissons les plus grandes cités du monde,
Et d’une fabuleuse histoire
Nous façonnons la gloire d’un empire ;
Un homme qui a un rêve, comme il le voudra,
S’avancera et conquerra un royaume ;
Et trois avec une nouvelle chanson
Peuvent piétiner un empire.
 
Nous, au long des âges,
Dans le passé enseveli de la terre,
Avons bâti Ninive de nos soupirs,
Et Babel même de nos rires ;
Et nous les avons renversées de nos prophéties,
Cherchant le nouveau monde sous l’ancien ;
Car chaque âge est un rêve qui meurt,
Ou un rêve qui vient au monde.
 
Arthur O’Shaughnessy, 1844-1881
 
 
 
Paysage
 
Là où les femmes peintes
Passent dans les néons
caché par un sourire
Je lève mon verre
 
à cette dame grise,
le ciel de l’Ouest,
embrassant Corrib
dans un soupir,
 
traînant ses voiles
dans la lueur endeuillée
là où château et église
ensevelissent un rêve.
 
Kevin Faller, 1920-1983
 
 
 
Le Merle de Belfast Lough
 
Quelle petite gorge
A modelé cette note?
Quel bec d’or 
L’a envoyé au loin ?
Un merle
Sur son trône de feuilles
L’a lancé seul
Par dessus la baie.
 
original gaélique médiéval,d’après la traduction de Franck O’Connor
 
 
 
La vieille femme de Beare
 
La mer rampe loin du rivage
Abandonnant sur place
L’herbe méprisable,
La chevelure d’un cadavre.
En moi,
La mer désolée se retire.
 
Je suis la vieille femme de Beare
Qui autrefois fut belle.
Maintenant tout ce que je sais, c’est comment mourir.
Je ferai ça très bien.
 
Regardez ma peau
Tendue serrée sur l’os.
Là où des rois ont posé leur lèvres,
La douleur, la douleur.
 
Je ne hais pas les hommes
Qui ont juré la vérité de leurs mensonges.
La seule chose que je hais :
Les yeux des femmes.
 
Le jeune soleil
Offre sa jeunesse à tout un chacun,
Changeant chaque chose en or.
En moi, le froid.
 
Le froid. Pourtant un germe
Brûle encore ici.
Les femmes de maintenant n’aiment que l’argent.
Moi quand j’aimais,
J’aimais les jeunes hommes.
 
Les jeunes hommes dont les chevaux galopaient
Sur mainte plaine ouverte
Frappant le sol comme le tonnerre.
C’est le genre d’hommes que j’aimais.
 
Et toujours la mer
Flue et reflue en moi,
Poussant, roulant dans ma tête
Des images de morts à la dérive.
 
Un soldat hurle
Pitoyablement sa détresse.
Un roi s’estompe
Dans la lumière tremblotante.
 
En toute saison
Le gland ne tombe-t-il pas à terre ?
Est-ce que je n’ai pas assez connu l’amour
Pour savoir qu’il est sitôt perdu que trouvé ?
 
J’ai bu mon saoul avec des rois,
Leurs yeux contemplaient mes cheveux.
Maintenant parmi les vieillardes puantes, 
Je rumine l’herbe amère de la prière. 
 
Le temps était la mer,
M’a amené des rois dont j’ai fait mes esclaves.
Maintenant que j’approche de la face de Dieu
Le crabe rampe dans mon sang.
 
J’ai aimé le vin
Qui me faisait jouir jusqu’à la racine de mes cheveux.
Aujourd’hui le vent mauvais
Couvre mes lèvres de sel.
 
La mer lâche et avachie
S’éloigne de moi en traînant.
La peur ramène la marée
Qui me faisait m’étendre près de celui
Qui me prendrait un moment comme femme.
 
La mer est de plus en plus petite maintenant.
Elle s’éloigne de plus en plus,
M’abandonnant là où l’écume sèche
Sur la contrée déserte,
Sèche comme mes cuisses étrécies,
Comme la langue qui presse mes lèvres,
Comme les veines qui ressortent de mes mains.
 
anonyme gaélique du Xe siècle, d’après la traduction de Brendan Kennelly
 
 
 
Je suis l’Irlande :
Je suis plus vieille que la Vieille Femme de Beare.
 
Grande est ma gloire :
J’ai porté Cuchulainn le Brave.
 
Grande est ma honte :
Mes propres enfants ont vendu leur mère.
 
Je suis l’Irlande : 
Je suis plus  seule que la Vieille Femme de Beare.
 
Padraig Pearse, 1879-1916
 
 
 
Mon histoire
 
Voici mon histoire ; le cerf brame,
L’hiver grogne la mort de l’été.
 
Le vent harcèle le soleil bas
Dans la pauvre lumière ; les mers gémissent.
 
Les grandes fougères informes rougissent ;
L’oie sauvage désespérée relève la tête ;
 
Les ailes des oiseaux gèlent là où les champs grisaillent.
Le monde est glacé. Voilà l’histoire de ma vie.
 
anonyme gaélique du VIIe siècle, d’après la traduction de Brendan Kennelly
 
 
Le Chant d’Amergin
Je suis le vent qui souffle par toute la mer
Je suis la vague de l’océan
Je suis le murmure des tourbillons
Je suis le taureau aux sept combats.
Je suis le vautour sur le rocher.
Je suis un rayon du soleil.
Je suis la plus belle des fleurs.
Je suis le sanglier sauvage en valeur.
Je suis le saumon dans le lough.
Je suis le lough dans la plaine.
Je suis l’habileté de l’artisan.
Je suis une parole de connaissance/science.
Je suis la pointe de la lance qui donne la bataille.
Je suis le dieu qui crée dans la tête de l’homme le feu de la pensée.
Qui éclaire l’assemblée sur la montagne, sinon moi ?
Qui dit les âges de la lune, sinon moi ?
Qui montre la place où le soleil repose, sinon moi ?
Qui appelle le bétail de la maison de Tethra ?
À qui sourit le bétail de Tethra ?
Qui est le dieu qui façonne les enchantements,
Les enchantements de la bataille et le vent de la métamorphose ?
 
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